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Pourquoi la
directive Bolkestein
ne sera pas modifiée
Antoine Rémond
Article paru dans l'édition du 09.04.05
Le Conseil européen des 22 et 23 mars a décidé de
ne pas adopter la directive sur la libéralisation du
marché des services, dite Bolkestein, telle qu'elle était
rédigée. Néanmoins, les propos du président
du Conseil européen, Jean-Claude Juncker, dans son
communiqué de presse du 23 mars, sont clairs : "La directive
ne sera pas retirée. Seule la Commission pourrait le faire. Le
Conseil européen n'a pas le droit de -lui- donner des
injonctions de ce type."
Dans ces conditions, en quoi a consisté
la "révision" par le Conseil de la proposition de directive?
Pour le savoir, il faut examiner les "conclusions" de sa
présidence. Elles indiquent que "pour promouvoir la
croissance et l'emploi et pour renforcer la compétitivité
le marché intérieur des services doit être
pleinement opérationnel tout en préservant le
modèle social européen".
La protection contre le dumping social tient
à ce principe : respect du "modèle social
européen". Or, si l'on a une idée assez
précise de ce que représente l'ouverture d'un
marché, il n'en est pas de même pour le modèle
social européen.
Il n'existe pas de modèle commun
clairement défini, mais plusieurs modèles sociaux
nationaux, fort disparates. Contrairement aux politiques
économiques, il n'existe pas de politiques sociales
européennes, mais tout au plus des procédures, comme la
stratégie européenne pour l'emploi, qui s'en tiennent
à la fixation d'objectifs, à la comparaison des
politiques nationales et, éventuellement, à des
recommandations de la Commission.
Lesquelles, contrairement aux
procédures économiques, n'ont pas de valeur
contraignante. Comment s'assurer que la directive respectera quelque
chose qui n'existe pas ? C'est la perversité de la
démarche. Dès lors qu'il n'existe pas de modèle
commun, celui-ci est inconsciemment assimilé au modèle
national où les individus ont leurs repères. On pense
alors que la directive sur la libéralisation du marché
des services respectera le "modèle français". Bien
qu'elle soit rassurante, il faut lutter contre cette idée.
La directive Bolkestein date du 13 janvier
2004. Etant donné que les commissaires européens n'ont
aucun pouvoir de décision propre, les deux Français de la
précédente Commission, Michel Barnier (politique
régionale) et Pascal Lamy (commerce), en sont autant
responsables que l'ex-commissaire au marché intérieur et
à la fiscalité, Frits Bolkestein. Or ils n'ont
manifesté aucune opposition.
Mais le référendum sur la
Constitution a changé la donne. Il est très vraisemblable
que, s'il n'avait pas été décidé, la
directive aurait été adoptée sans que personne
s'en émeuve, comme le furent, par exemple, les directives
92/49/CEE concernant l'assurance non-vie et la 92/96/CEE concernant
l'assurance-vie (qui mettent juridiquement fin à l'obligation
d'affiliation à la Sécurité sociale pour les
branches maladie, accidents du travail et vieillesse), ou la directive
2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des
institutions de retraite professionnelle, visant à instaurer un
marché unique pour les retraites professionnelles, qui est un
peu ce que la directive Bolkestein est aux services. Le respect du
"modèle social" ne fut, dans ces deux cas, nullement
invoqué. Il ne l'est pas davantage pour la proposition
2004/0209/COD du 22 septembre 2004, visant à modifier certains
aspects de l'aménagement du temps de travail.
A la lecture des conclusions du Conseil
européen, force est de constater qu'il n'est écrit nulle
part que le principe du pays d'origine, cause d'un possible dumping
social, est abandonné. La déclaration de François
Hollande selon laquelle "le principe qui était le plus en
contradiction avec le modèle européen, celui du pays
d'origine, est écarté" n'est pas fondée.
De même, lors de la conférence de
presse de Jacques Chirac, à l'issue du Conseil, à la
question "Demandez-vous le retrait du principe du pays d'origine de
cette directive, sachant qu'il est un des points directeurs du
traité ?", le président répondit : "C'est
une approche un peu superficielle des choses. Le principe du pays
d'origine, tel qu'il a été arrêté et compris
dans la directive sur les services, n'est pas acceptable pour la France
etun certain nombre d'autres pays. Donc nous l'excluons."
Mais qui l'exclut ? Certainement pas le
Conseil, puisque cet abandon ne figure pas dans ses conclusions
officielles. Ce que Jacques Chirac admet : "C'est d'ailleurs la
raison pour laquelle vous ne trouvez plus de référence au
pays d'origine dans la décision prise aujourd'hui." Et de
conclure : "Ce qui veut dire clairement que nous
n'acceptons pas cette référence."
Cette affirmation n'engage que lui. Il n'y en
a aucune trace dans les conclusions du Conseil et le président a
été le seul à annoncer le retrait du "principe du
pays d'origine". Ni les autres chefs d'Etat, ni le président du
Conseil, ni celui de la Commission ne l'ont évoqué.
L'ouverture du marché des services
ayant été réaffirmée, la Commission
reprendra donc cette directive, qui sera proposée à un
futur Conseil européen dans des termes très certainement
peu différents, comme ce fut le cas pour la proposition de
directive concernant l'accès au marché des services
portuaires (2001/0047/COD, 13 février 2001), rejetée par
le Parlement suite à des mouvements de grève massifs dans
toute l'Europe, mais qui a resurgi, sans grande modification, dans une
nouvelle proposition du 13 octobre 2004 (2004/0240/COD).
Voilà pourquoi les déclarations
lénifiantes de François Hollande et Jacques Chirac sont
peu convaincantes.
Antoine Rémond est enseignant à
l'université Paris-XIII, membre du Centre d'économie de
Paris-Nord.
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