Politiques
macroéconomiques, politiques structurelles et Modèle
social européen Jacques Mazier Professeur
d'économie, CEPN-CNRS,
Université de
Paris-Nord Depuis le milieu des années
1980 les erreurs dans la conduite de la politique économique en
Europe
apparaissent comme l’une des principales causes du décrochage de
la croissance
européenne par rapport à celle des Etats-Unis. Le SME
fonctionnait d’une
manière asymétrique et faisait supporter le coût
des ajustements aux pays à
monnaies faibles. En 1985, au lieu d’apporter des réponses aux
facteurs de
blocage bien réels qui existaient déjà, le choix
fut fait de relancer l’Europe
par le marché avec le programme du Marché unique. Selon
la conception libérale
qui prévalut, l’achèvement du grand marché
intérieur et le renforcement de la
concurrence devaient stimuler la croissance et l’innovation. Au
début des
années 1990 la libéralisation financière et le
fonctionnement de plus en plus
rigide du SME ont rendu nécessaire un changement de
régime monétaire. Le projet
de monnaie unique l’emporta, sans que l’on en tirât les
conséquences qui
s’imposaient en termes d’organisation de la politique
économique. Le projet
apparut bancal dès le départ. Mais les avantages de la
monnaie unique étaient
considérés comme déterminants et les coûts
largement sous-estimés. En outre,
les modalités de transition vers la monnaie unique
adoptées à Maastricht en
décembre 1991 contribuèrent, avec le contre-coup de la
réunification allemande,
au blocage de la croissance européenne durant la longue
période de transition
de 1992 à 1998. Après l’embellie
éphémère des années 1998-2000, les facteurs
de
blocage ont joué à nouveau à plein et les risques
d’enlisement sont réapparus. Les
systèmes de protection sociale, qui, selon des
spécificités propres à chaque
pays, étaient un des fondements des sociétés
européennes, sont progressivement
remis en cause. L’UE est d’autant plus au pied du mur que
l’élargissement aux
pays de l’Europe de l’Est constitue un défi
supplémentaire. Le projet de Constitution
européenne est une tentative de réponse critiquable
à bien des égards. En s’en
tenant au seul plan économique, ce projet s’inscrit dans la
conception libérale
de la construction européenne qui continue à
prévaloir. Il risque de déboucher
sur une paralysie persistante de l’UE enlisée dans la croissance
lente et la
montée des inégalités (1). Des propositions
alternatives sont esquissées en
mettant l’accent sur les politiques macroéconomiques et le
Modèle social
européen (2) et sur les politiques structurelles (3). Elles
semblent toutefois
éloignées de ce qui peut être raisonnablement
attendu dans une UE à 25. Des
pistes nouvelles pourraient être explorées dans le cadre
d’une Europe fonctionnant
de manière différenciée, mais capable de
préserver une politique de cohésion et
de se mobiliser autour de grands programmes structurants (4).
Le projet de Constitution
présente peu d’avancées dans le domaine des politiques
économiques et sociales.
Plus grave sans doute, en les inscrivant dans la Constitution, il donne
plus de
poids à des principes pourtant largement critiqués. Le Pacte de Stabilité et de
Croissance (PSC) est maintenu sans changement bien que les
années 2002-2004
aient clairement montré ses effets pervers. Les fondements
théoriques du Pacte
de Stabilité sont des plus contestables (Créel, Latreille
et Le Cacheux,
2002 ; Bénassy-Quéré, 2003 ; Mathieu et
Sterdyniak, 2003). Le PSC a,
en principe, deux fonctions dans le cadre d’une union monétaire,
éviter
l’insolvabilité d’un Etat membre et éviter que le laxisme
budgétaire d’un pays
n’entraîne des externalités négatives à
travers une hausse des taux d’intérêt.
Ces deux fonctions sont mal remplies par les instruments actuels du PSC. La surveillance du ratio
d’endettement public en % du PIB suffit à prévenir les
problèmes
d’insolvabilité. Les règles de 3% du PIB de
déficit public et de convergence
vers un équilibre budgétaire à moyen terme ne
tiennent pas compte des marges de
manœuvre dont disposent les Etats peu endettés. Elles
n’intègrent pas non plus
les effets positifs sur la croissance des investissements publics ou
des
dépenses de recherche et d’éducation qui se trouvent
laminés par les
contraintes du PSC. S’agissant des externalités sur les taux
d’intérêt, le
critère du déficit public est également
inadapté. Ces externalités ne se
manifestent que s’il y a une hausse des prix plus forte ou une ponction
prononcée sur l’épargne de la zone. Le ratio le plus
approprié pour juger de
ces effets est le solde courant en % du PIB qui intègre à
la fois les
ajustements de l’épargne publique et privée et de
l’investissement. Un pays,
comme l’Allemagne, qui a, à la fois, un déficit public
significatif, mais un
fort excédent courant ne devrait pas être concerné.
Le maintien du PSC sous sa
forme actuelle a peu de justifications sérieuses et constitue un
premier
facteur d’enfermement des économies européennes dans la
croissance lente. Les
assouplissements envisagés par la Commission en 2004 ne
constituent qu’une
réponse très partielle. L’indépendance de la BCE est
confortée avec pour seul objectif, la stabilité des prix
(moins de 2%
d’inflation). Le statut de la BCE est sans équivalent dans le
monde. En
l’absence d’une autorité fédérale en Europe,
l’autonomie de la BCE en matière
de politique monétaire et de change est plus large que celle de
la FED aux
Etats-Unis ou que ne l’était celle de la Bundesbank. Si la
politique de change
relève dans les faits de la seule BCE, les évolutions de
l’euro n’ont guère été
maîtrisées depuis 1999. Après les effets
bénéfiques de la dépréciation initiale
de l’euro, le risque d’une surévaluation durable de l’euro ne
peut plus être
écarté depuis 2004. Les améliorations
apportées au fonctionnement de
l’Eurogroupe sont modestes. Le problème de la
représentation extérieure de la
zone euro n’est pas réglé. A la différence des
Etats-Unis, aucune référence
n’est faite à un objectif de préservation de la
croissance et de l’emploi. La
politique monétaire commune est inadaptée face à
des pays connaissant des
évolutions asymétriques. Elle est trop restrictive pour
des pays confrontés à
la récession, trop accommodante pour des pays soumis à
des pressions
inflationnistes. Cette conception générale de la
politique monétaire est un
second facteur peu favorable à la préservation de la
croissance. Les règles de la concurrence
sont réaffirmées avec des références
répétées aux principes d’une économie de
marché ouverte et d’une concurrence non biaisée. Les
aides étatiques font
l’objet d’une mention spécifique pour délimiter
étroitement celles qui
demeurent compatibles avec le marché intérieur. A
l’opposé les interventions
susceptibles d’être engagées au niveau européen
pour stimuler l’offre dans les
domaines de la R&D, de l’éducation, de l’aide à
l’industrie ou des grandes
infrastructures sont modestes. Avec des politiques nationales
contraintes et
des impulsions réduites venant du niveau communautaire, les
politiques
structurelles ne sont pas en état de surmonter les retards
accumulés. Là non
plus, il n’y a pas de soutien de la croissance à long terme. De nouveaux champs de
coopération sont cependant introduits, en particulier dans les
domaines de
l’emploi ou des politiques sociales qui faisaient auparavant l’objet de
simples
« méthodes ouvertes de coordination », non
contraignantes, reposant
sur l’échange d’informations et des meilleures pratiques. La
prudence de la
rédaction du texte, pas de contraintes, ni d’harmonisations,
laisse penser que
les progrès seront minces par rapport à la situation
antérieure. Rien n’est
prévu en matière de politique salariale qui constituerait
pourtant un enjeu
important dans le cadre d’un policy mix élargi. Le
« dialogue
macroéconomique », inscrit depuis 1999 dans le
processus de Cologne et
regroupant la BCE, les gouvernements nationaux et les syndicats
européens, a
été vidé de sa substance, la BCE se contentant
d’afficher ses orientations sans
aucun dialogue. Le développement d’un cercle vicieux avec une
pression à la
baisse sur les salaires et les coûts dans chacun des pays
européens contribuant
au blocage de la croissance ne relève pas de la simple
hypothèse d’école. Enfin, l’Europe Sociale est
théoriquement un objectif de la construction européenne
qui s’est traduit par
la mise en place des Fonds sociaux et des Fonds structurels ou
l’adoption de la
Charte sur les droits fondamentaux. Mais la politique sociale
relève du seul
niveau national. Au-delà de fortes spécificités
par pays, elle est au coeur du
modèle européen et se trouve menacée de
régression à plusieurs titres. En
premier lieu la protection sociale est de
plus en plus analysée dans le débat public sous le seul
angle des coûts. Les
« charges sociales » doivent être
réduites pour préserver
l’emploi et accroître la compétitivité. Les
contraintes budgétaires, liées
à l’accroissement des dépenses de santé
et des retraites, sont présentées d’une manière
biaisée pour favoriser des
politiques de privatisation. La protection sociale est de plus en plus
surveillée par les autorités communautaires du fait de
son impact sur les
comptes publics. En second lieu les dépenses sociales
constituent un nouveau
champ pour l’accumulation du capital privé dans des domaines
comme les
retraites ou la santé. Fondé sur la privatisation un
nouveau modèle, plus
inégalitaire et souvent plus coûteux, se dessine. La
remise en cause de la
protection sociale est utilisée pour discipliner la force de
travail. C’est le
« workfare » par opposition au
« welfare ». Enfin la
directive Bolkenstein, relative aux services dans le marché
intérieur,
constitue une menace directe contre la protection sociale et les
services
publics. Avec l’application du « principe du pays
d’origine », elle
va favoriser le dumping social. Au total, c’est la
construction d’une Europe libérale qui se trouve poursuivie. Si
le projet de
Constitution, en lui-même, n’accentue pas le
phénomène, les problèmes de
fonctionnement demeurent entiers, particulièrement au sein de la
zone euro. Les
facilités de financement des déficits
intra-européens en euros constituent un
facteur favorable à la croissance dans la zone euro. Mais, avec
la disparition
du change comme variable d’ajustement, les mécanismes de
rééquilibrage face à
des évolutions asymétrique apparaissent insuffisants. Les
disparités de
réaction entre pays face à un choc de même ampleur
sont importantes (Mazier et
Saglio, 2004). Sans budget fédéral, avec des politiques
budgétaires nationales
contraintes par le Pacte de stabilité, l’Union monétaire
se trouve démunie face
à des évolutions asymétriques. La pression sur les
prix et les coûts demeure la
seule réponse et risque de se renforcer, contribuant à
enfermer l’UE dans la
croissance lente. Les multiples travaux
réalisés depuis plusieurs années pour tenter de
faire progresser la
coordination ont débouché sur fort peu de
résultats opérationnels (Jacquet et
Pisani-Ferry, 2000). Les Grandes Orientations de Politiques Economiques
(GOPE),
présentées chaque année par la Commission,
constituent un exercice très
convenu, où les orientations libérales sont
réaffirmées d’un manière quelque
peu répétitive, et sans grande portée pratique.
Aucun élément nouveau n’est
apporté par le projet de Constitution dans ce domaine. L’élargissement de l’UE aux
Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) soulève de nouveaux
problèmes. Une vision
optimiste conduit à minorer l’impact économique de
l’élargissement et un
supplément de croissance de 4% peut être attendu à
horizon de 15 ans dans les
pays nouveaux entrants (Bchir, Fontagné et Zanghieri, 2003).
Cette vision
optimiste doit toutefois être relativisée. Si les pays
d’Europe Centrale
apparaissent mieux placés, les pays plus
périphériques risquent d’être
marginalisés (Dupuch, Jennequin, Mouhoud, 2003). Les
inégalités régionales et
les inégalités de revenus vont sensiblement
s’accroître, ce qui pose le
problème du devenir de la PAC et de la politique
régionale. A la différence des
précédents élargissements, le soutien des Quinze a
été calculé au plus juste
puisque les transferts nets se ramènent sur la période
2004-2006 à un montant équivalent
par an à 0.8% du PIB des nouveaux membres. Le fonctionnement de l’UE à
25 viendra buter sur de multiples facteurs de tension dans les
années à venir.
La tendance de l’UE à se transformer en une zone de libre
échange soumise au
seul jeu de la concurrence sera renforcée. Comme dans les
années 1980 et 1990,
la croissance sera peu au rendez-vous. Une telle construction
correspond assez
bien au schéma libéral : un vaste marché
unique, une BCE indépendante
garante de la stabilité des prix, un marché financier
unique en cours de
constitution, une politique de la concurrence et une politique
commerciale
servant d’aiguillons pour impulser de nouvelles mesures de
libéralisation, un
Budget communautaire plafonné, des Etats nationaux
paralysés par les
contraintes budgétaires. La faiblesse de la croissance sera en
partie compensée
par les opportunités nouvelles d’investissement que la
libéralisation et la
privatisation des services publics continueront à ouvrir au
capital privé.
L’accroissement des inégalités au niveau des revenus et
au niveau des régions fera
des perdants, mais aussi des gagnants. L’absence de croissance, la
persistance
des tensions sociales, les blocages au niveau des politiques
européennes, le
retard pris au niveau des nouvelles technologies n’en posent pas moins
problème. C’est dans ce contexte que doivent être
resituées les propositions du
rapport Sapir (2003) visant à dynamiser la croissance
européenne. Ces
propositions forment un ensemble cohérent dans le cadre des
contraintes
budgétaires actuelles mais constituent une vision minimaliste de
la relance
européenne.
Prétendre apporter des
réponses à l’ensemble des questions soulevées est
hors de propos. Tout au plus
peut-on esquisser quelques orientations générales
concernant à la fois le cadre
macroéconomique, le Modèle social européen et les
politiques structurelles
relevant du moyen terme[1].
Si les choix alternatifs de politique économique peuvent
être explicités assez
simplement dans leurs principes, les conditions de mise en œuvre
apparaissent
plus problématiques. Une distinction est nécessaire entre
l’UE élargie où les
risques de paralysie sont grands et où la cohésion
devrait être préservée en
priorité et un champ plus restreint où des initiatives
plus délimitées
pourraient être engagées. La politique alternative
repose sur la montée en régime progressive d’une
politique budgétaire
européenne susceptible à la fois de jouer un rôle
de stabilisation et de
redistribution et de permettre le financement de politiques
structurelles plus
actives. La conduite du policy mix est facilitée par une
réforme du Pacte de
stabilité, un élargissement des objectifs de la BCE et
une prise en compte des
politiques salariales. Le Modèle social européen est
réaffirmé comme un élément
central. Le renouvellement des politiques structurelles au niveau
communautaire
concerne la politique de la recherche et la politique industrielle pour
impulser la croissance à moyen terme, les politiques agricole et
régionale qui doivent
être maintenues, mais réformées en profondeur et la
politique commerciale. L’amorce d’une politique budgétaire
européenne
Concernant la politique
budgétaire, la mise en place d’un Budget fédéral
serait en théorie le mode de
réponse le plus approprié mais est hors de portée.
Deux pistes alternatives
peuvent être explorées simultanément. La première passerait par un
accroissement modeste et progressif du Budget européen, pour
atteindre environ
5% du PIB à horizon de quelques années. Des ressources
propres devraient être
dégagées au niveau européen à partir de
certains impôts bien adaptés à cette
fonction : impôts sur les revenus de l’épargne et sur
les profits des
entreprises, ce qui permettrait de limiter les effets de la concurrence
fiscale ;
taxe sur les transactions financières ; taxe sur les
émissions de CO2. En
contrepartie des dépenses nouvelles seraient effectuées
au niveau européen dans
des domaines tels que la recherche, les réseaux
trans-européens ou la lutte
contre la pollution. La taille limitée du Budget européen
ne lui permettrait
toutefois que de jouer un rôle modeste en matière de
stabilisation en cas de
chocs asymétriques. Pour faire face à de tels
chocs, un Fonds de stabilisation de l’emploi pourrait être
créé s’inspirant de
schémas anciens élaborés par la Commission
elle-même (Italianer et
Pisani-Ferry, 1992). En cas de hausse du taux de chômage plus
rapide dans un
pays que dans la moyenne européenne, le pays concerné
bénéficierait d’un
transfert (automatique ou à négocier) en provenance du
Budget européen. D’après
les estimations effectuées, avec des transferts plafonnés
à 2% du PIB, le coût
moyen annuel à la charge du Budget européen serait de
l’ordre de 0.23% du PIB.
En cas d’un choc négatif de –1% du PIB, l’effet stabilisateur
(et
redistributif) serait de l’ordre de 0.18% du PIB, c’est à dire
comparable à
l’effet obtenu aux Etats-Unis par l’intermédiaire du Budget
fédéral. La deuxième possibilité
serait d’accepter un déficit du Budget européen. Ce
déficit financé par
émission de titres demeurerait d’un montant modeste, de l’ordre
de 1% du PIB
communautaire, afin que le service de la dette ne pèse pas trop
lourdement dans
le futur. Avec un endettement plafonné à 10% du PIB, le
service de la dette ne
dépasserait pas à long terme 0.35% du PIB. Une autre
solution, plus facile à
mettre en œuvre, serait d’élargir les possibilités
d’emprunt au niveau de la
BEI et de la BERD. Les sommes ainsi collectées pourraient
être reversées aux
Etats membres en cas de conjoncture globalement défavorable
(choc symétrique)
pour financer des programmes nationaux spécifiques. De tels
programmes seraient
plus aisément mobilisables que des grands travaux pour impulser
des mesures de
relance. Ces reversements pourraient également se faire en cas
de chocs asymétriques
selon une procédure proche de celle du Fonds de stabilisation de
l’emploi. Enfin, le Pacte de stabilité
devrait être réformé en tenant compte de certaines
des propositions avancées
(norme d’endettement public net en % du PIB, norme de balance courante
soutenable, pragmatisme dans le dispositif de surveillance en prenant
en compte
les effets de la conjoncture). Indépendance de la BCE et renforcement de la
coordination
Concernant la politique
monétaire, l’absence de tout contrôle démocratique,
qui n’a pas d’équivalent
ailleurs, constitue un problème majeur. Ce problème est
difficile à régler tant
qu’il n’existera pas d’autorité supranationale en Europe
à la légitimité
clairement établie. Une solution ne pourra être
trouvée qu’au terme d’un long processus
de maturation politique en raison des oppositions existant au niveau
des
Etats-nations pour passer à un système clairement
fédéral. L’objectif retenu par la BCE
en matière de stabilité des prix (un taux d’inflation
compris entre 0 et 2%)
pose problème. Il contraste avec l’objectif adopté par le
Chancelier
britannique (entre 2.5 et 3.5%) et avec les positions encore moins
contraignantes de la Banque fédérale américaine.
Un tel choix devrait faire
l’objet d’un débat public approfondi avec les interlocuteurs
politiques. Une
éradication trop poussée de l’inflation peut contribuer
à enfermer une économie
dans la « trappe à liquidité »,
comme l’a illustré l’exemple
japonais. Une stabilité des prix complète limite
l’efficacité de la politique
monétaire comme instrument de soutien de l’activité. Plus fondamentalement,
l’élargissement de l’objectif de la BCE au plein emploi et
à la cohésion
sociale contribuerait à replacer l’emploi au centre des
préoccupations de la
politique économique. Un tel changement faciliterait les
problèmes de
coordination et ne ferait qu’aligner la BCE sur les objectifs d’autres
banques
centrales comme la Réserve Fédérale
américaine. Les modes d’intervention de
la BCE devraient, par ailleurs, être élargis à
l’image de ce que sont les
moyens d’action des Banques Centrales anglo-saxonnes. Dans ces pays la
Banque
Centrale peut acheter (ou vendre) et détenir en propre des
titres d’Etat ou
d’Agences fédérales et non simplement les détenir
en pension, sous forme de
simple garantie, dans le cadre des opérations de refinancement
effectuées en
faveur des banques commerciales. Elle peut ainsi intervenir plus
directement
dans le processus de création de liquidités pour soutenir
l’activité ou freiner
les pressions déflationnistes lorsqu’elle considère que
les demandes de
refinancement de la part des banques sont insuffisantes. Une telle
possibilité
a été explicitement exclue dans le cas de la BCE,
notamment en raison de
l’opposition déterminée de la Bundesbank par crainte des
dérapages inflationnistes
liés à une création monétaire excessive.
Une réévaluation plus sereine de cette
question serait nécessaire. L’instabilité sur le marché
des changes souligne un autre défaut majeur des institutions
monétaires
européennes : l’absence de toute orientation claire en
matière de
politique externe. La politique de change est, en pratique,
entièrement entre
les mains de la BCE, le Conseil européen ne pouvant intervenir
que dans des
circonstances exceptionnelles, par exemple en cas de
« désalignement manifeste ».
Le problème épineux de la représentation
internationale de la zone euro ne fait
qu’accroître la difficulté. Il serait essentiel que la
politique de change soit
réappropriée par le Conseil et l’Eurogroupe. La
désignation d’un
« Monsieur Euro », comme représentant du
Conseil, symboliserait cette
nouvelle répartition des rôles. En termes
généraux la politique de change
pourrait se fixer comme objectif l’établissement de
« zones cibles
flexibles » entre les principales devises avec des marges de
fluctuation
plus ou moins larges autour de parités de
référence calculées à partir de taux
de change d’équilibre fondamentaux (Couharde et Mazier, 2001). L’explicitation d’une
politique de change rendrait aussi plus cohérente
l’élaboration du policy mix.
Les principes démocratiques seraient en outre mieux
respectés puisque le
Conseil, en tant que représentant des gouvernements nationaux,
est le seul à
avoir une légitimité démocratique
incontestée. On se rapprocherait ainsi des
schémas institutionnels qui prévalent aux Etats-Unis ou
au Japon où la
responsabilité de la politique de change n’est pas du seul
ressort de la Banque
centrale. Cette question est évidemment d’une grande
actualité en 2004 et 2005. La
situation conjoncturelle
actuelle montre l’acuité des problèmes résultant
de l’absence de mécanismes de
coordination en Europe et du statut de la BCE. Des progrès
pourraient être
réalisés dans plusieurs directions : une meilleure
coordination des
politiques budgétaires nationales entre elles dans la
lignée des efforts
effectués depuis la fin des années 1990 avec le
développement de la pratique de
la programmation budgétaire pluriannuelle et un rapprochement
des procédures
budgétaires nationales ; l’amorce d’un
fédéralisme budgétaire et
l’acceptation d’un déficit du Budget européen;
l’articulation entre les
politiques budgétaires et la politique monétaire à
travers un renforcement des
capacités d’intervention de l’Eurogroupe. La
réintroduction de la politique salariale Conformément
à la doctrine
libérale selon laquelle la détermination des salaires se
fait d’une manière
décentralisée, les mécanismes de formation des
salaires ont été largement
ignorés jusqu’ici. Le risque existe qu’une
décentralisation trop poussée des
négociations salariales conduise à des dynamiques
déséquilibrantes. Une
meilleure prise en compte de l’évolution des revenus
apparaît comme une
condition nécessaire pour améliorer la conduite du policy
mix au niveau
européen. Une coordination des évolutions salariales au
niveau européen
pourrait passer par l’instauration d’un système de
négociation à plusieurs
niveaux fondé sur une anticipation du taux d’inflation, mais
intégrant les
spécificités nationales et des considérations
sectorielles. De tels
arrangements pourraient prendre appui sur des pratiques
déjà existantes dans
les pays européens à tradition social-démocrate.
L’expérience des « pactes
sociaux » signés dans plusieurs pays européens
aux structures sociales
fort diverses pour satisfaire dans les délais requis aux
critères de Maastricht
devrait également être valorisée. L’intégration des rémunérations dans les négociations collectives avec une dimension communautaire pourrait prendre des formes diverses dans chaque pays en fonction de leurs traditions propres (négociations régionales de branches en Allemagne, négociation interprofessionnelle en Suède, négociations de branches aux Pays-Bas, « pactes sociaux » ailleurs). Des évolutions salariales différenciées par pays devraient en résulter, en préservant, au terme d’une démarche d’apprentissage progressive, une cohérence avec les composantes du policy mix. Le « dialogue macro-économique » inscrit dans le processus de Cologne, mais resté lettre morte, pourrait ainsi être réhabilité. La réhabilitation du Modèle
social européen Les systèmes de protection
sociale constituaient, sous des formes contrastées d’un pays
à l’autre, une des
bases du Modèle social européen qui le
différentiait clairement des modèles
américain ou japonais. Face aux contraintes budgétaires
les pressions se sont
renforcées pour « moderniser » ces
systèmes en mettant l’accent sur
les responsabilités individuelles et en faisant davantage
supporter les
contraintes financières par les individus. Il en a
résulté une tendance à la
privatisation et à la délégation à des
acteurs financiers, plus ou moins
avancée selon les pays. La directive Bolkenstein, relative aux
services dans le
marché intérieur, menace la protection sociale et les
services publics. A l’encontre de ces évolutions
la notion de Modèle social européen doit être
réhabilitée en retenant trois
piliers : le plein emploi mais avec des emplois correspondant
à la
qualification des salariés et leur assurant une juste
rémunération ; une
protection sociale face à la vieillesse, la maladie et les
accidents reposant
sur un large système de Sécurité Sociale ;
l’équité sociale, c'est-à-dire
l’absence de discrimination sociale et d’inégalités
excessives aussi bien en
matière de revenus que de développement spatial et
l’accès à des services
publics de qualité. Cette notion de Modèle
social européen s’oppose au « modèle
américain » d’essence plus
libérale, plus inégalitaire et moins solidaire, reposant
davantage sur des
fondements individualistes et où les mécanismes de
marché et la concurrence
constituent la règle. Elle s’oppose aux orientations
affichées dans certains des
textes récents de la Commission. Elle peut se décliner
selon des formes
différenciées dans chaque pays en fonction de leurs
traditions et de leurs
expériences passées. Une convergence des modèles
nationaux n’est pas envisageable
à court ou à moyen terme. Le risque existe même que
le jeu des disparités
croissantes au sein de l’UE élargie et de la concurrence
renforcée ne conduise
à une remise en cause des fondements du modèle
européen. Les tendances à
l’œuvre doivent être inversées en montrant que la
protection sociale peut être
préservée sur la base de systèmes publics plus
équitables et tout aussi
efficaces que les systèmes privatisés. Cela est vrai pour
les systèmes de
retraite fondés sur la répartition comme pour les
systèmes d’assurance maladie.
Ces questions relèvent des choix nationaux mais aussi, de plus
en plus, des
contraintes et des directives imposées de
Bruxelles. Le rejet ou l’amendement en profondeur de la directive
relative aux
services dans le marché intérieur apparaît, de ce
point de vue, comme un enjeu
essentiel. Au-delà, des procédures
pourraient être mises en place au niveau européen pour
confronter et évaluer
les politiques menées dans les différents pays, en
s’inspirant de la méthode de
coordination ouverte expérimentée dans le cadre de la
Stratégie européenne pour
l’emploi depuis la fin des années 1990. Des niveaux minima,
différenciés par
pays, pourraient être fixés à titre d’objectifs par
grands domaines (salaire
minimum, couverture sociale, retraites). Dans certains cas des
procédures plus
contraignantes seraient envisageables pour faire respecter des normes
minimales, par exemple sur le montant des retraites en pourcentage du
revenu
par tête. Enfin, dans le cadre d’un Budget européen en
progression, un montant
compris entre 0.5% et 1% du PIB de l’UE pourrait être
dédié à un Fonds social
européen qui financerait des transferts sociaux aidant à
atteindre certains des
seuils minima précédemment fixés, notamment en
matière de niveau des retraites
ou de couverture sociale. Un tel Fonds s’adresserait en priorité
aux pays les
moins avancés de l’UE qui s’intégreraient ainsi
progressivement au Modèle
social européen. On renouerait de cette façon avec la
logique de
l’harmonisation et de la convergence qui a été à
la base de la construction
européenne depuis quarante ans. Les politiques de l’emploi constituent
un autre domaine où des progrès peuvent être
réalisés. Si les politiques de
l’emploi ne peuvent en elles mêmes résoudre le
problème du chômage, elles
jouent un rôle positif en contribuant à aider les groupes
sociaux défavorisés,
à accroître le niveau de qualification ou à
améliorer les conditions de
travail. Dans le cadre de la Stratégie européenne pour
l’emploi mise en place
depuis 1997, la méthode ouverte de coordination a
constitué une démarche
originale pour aider à la
reformulation
des politiques nationales à travers un processus itératif
d’échanges
d’informations et un effort d’harmonisation dans les objectifs et les
programmes. Dans l’ensemble les mesures prises ont renforcé
jusqu’ici la
tendance vers plus de flexibilité. La méthode peut
cependant être retenue et
améliorée sous plusieurs conditions. Le cadre restrictif
des Grandes
Orientations de Politique Economique (GOPE) tel qu’il est actuellement
formulé et
dans lequel s’inscrit la Stratégie européenne pour
l’emploi devrait être abandonné.
Les partenaires sociaux devraient être davantage associés
et la représentation
des salariés renforcée. On ne devrait pas se limiter
à de simples objectifs de
taux d’emploi et davantage prendre en compte les raisons pour
lesquelles les
taux de participation de certaines catégories de personnes sont
faibles. Les
recommandations en faveur de plus de flexibilité devraient
être revues à la
lumière des résultats médiocres obtenus jusqu’ici.
Les politiques actives de
l’emploi devraient davantage s’inspirer des expériences des pays
nordiques,
plus solidaires et offrant des choix plus larges, que des
schémas s’inspirant
du workfare, plus marqués par le
seul
aspect disciplinaire.
En matière de politiques
structurelles le cadre institutionnel européen est marqué
par plusieurs
tendances lourdes, la prééminence de la politique de la
concurrence
communautaire, la logique du Marché unique qui privilégie
la recherche des
économies d’échelle, la faiblesse de la politique de la
recherche communautaire,
l’absence de politique industrielle au plan européen, le poids
prédominant de
la PAC et de la politique régionale, le caractère trop
libéral enfin de la
politique commerciale européenne. L’essentiel des interventions
publiques à
caractère structurel s’organisent selon des modèles
nationaux spécifiques. Mais
dans bien des cas la politique européenne de la concurrence
exerce une
contrainte de plus en plus marquée. Des restrictions sont
imposées aux
interventions nationales sans être compensées par un
élargissement des
interventions au niveau européen, conformément à
la doctrine libérale. Un rééquilibrage
apparaît souhaitable en impulsant une politique de la recherche
plus active, en
instaurant une politique industrielle au niveau communautaire, en
renforçant
les services publics, en donnant une orientation nouvelle à la
politique
régionale, en préservant mais en transformant en
profondeur la PAC, en
redéfinissant enfin la politique commerciale européenne. Une politique de la recherche plus active
Les raisons de la
détérioration des performances extérieures dans
les domaines des hautes
technologies au cours des années 1980 et 1990 sont multiples
mais résident,
pour une part importante, dans les insuffisances de la politique de la
recherche aux niveaux communautaire et nationaux. Par rapport aux
politiques
américaines dans ces domaines, les politiques nationales
appuyées sur des
systèmes nationaux d’innovation très diversifiés
ont été trop dispersées et ont
manqué de coordination. Les volumes de financement ont
globalement été
insuffisants. L’effort de R&D moyen en Europe représente
environ 1.9% du
PIB contre 2.5% aux Etats-Unis et au Japon et aucun pays, à
l’exception de la
Suède, ne dépasse le niveau américain. Les programmes cadre de
recherche et de développement technologique (PCRD) ont souffert
de plusieurs
handicaps : engagement insuffisant des grandes entreprises qui ont
été
réticentes à coopérer sur des projets majeurs et
n’ont souvent proposé que des
projets de deuxième niveau ; complexité de la
procédure qui a constitué un
obstacle pour les PME ; multiplicité des objectifs peu
compatible avec
l’unicité des règles ; caractère
inadapté de la notion de
pré-compétitivité ; effets pervers de la
règle de l’unanimité qui a
empêché de se concentrer sur les projets prioritaires et a
poussé au
saupoudrage ; utilisation par certains pays du PRCD comme
substitut aux
financements nationaux en régression ; faiblesse
quantitative enfin (15
milliards d’euros pour le 5ème PCRD de 1998 à
2002 ; 17.5
milliards pour le 6ème PCRD de 2002 à 2006). Le programme EUREKA est,
quant à lui, un mécanisme de coopération
intergouvernemental dont la souplesse
de fonctionnement est reconnue, reposant sur l’initiative des
entreprises et
des laboratoires, et à géométrie variable. Il a
cependant connu une érosion
progressive avec un désengagement de certains Etats, une
diminution de la
taille des projets financés et une perte de
crédibilité financière. Plusieurs améliorations ont
été apportées au cours des dernières
années. L’abandon de la règle de
l’unanimité depuis juin 1999 a ouvert la voie à une plus
grande sélectivité au
niveau du PCRD. Le dépassement du critère de
pré-compétitivité devrait
permettre le financement de projets plus proches de l’application
industrielle.
Le sommet de Lisbonne en 2000 a affiché une volonté
louable de rattrapage dans
le domaine de l’économie de la connaissance mais les moyens
mobilisés sont
restés limités. Il conviendrait d’aller plus loin dans la
rationalisation
des procédures. Le soutien à l’innovation des PMI sur
fonds communautaire
devrait être délégué à des relais
régionaux pour gagner en efficacité.
Certaines aides du PCRD répondent en fait à un objectif
de cohésion en faveur
de certains Etats et devraient être intégrés dans
la politique d’aides
régionales financée sur les fonds structurels.
Les procédures du PCRD sont
devenues trop complexes et des règles spécifiques
devraient être mise en œuvre
en fonction des opérations financées : pour la
recherche en amont de long
terme une plus grande liberté de proposition devrait
prévaloir ; pour la
recherche industrielle la définition des axes prioritaires
reposerait sur une
participation continue du milieu industriel avec un engagement
réel des plus
grandes entreprises ; pour les projets à exécution
rapide et pour soutenir
plus spécifiquement les PME les acquis du programme EUREKA
devrait être mobilisés.
Celui-ci, tout en conservant sa flexibilité de fonctionnement,
devrait être
intégré au PCRD pour surmonter les blocages actuels. Les mesures nationales de
soutien à l’innovation devraient être elles mêmes
rationalisées en intégrant
mieux les actions communautaires et en évitant les doubles
emplois et les
concurrences intra-européennes parfois stériles. Le
soutien au développement
avec des aides remboursables en cas de succès devrait être
accru. Il est enfin indispensable
de se doter de nouveaux moyens, tant au niveau budgétaire qu’au
niveau des
instruments mobilisés. Les enveloppes financières du PCRD
devraient être revues
à la hausse (de l’ordre de 0.4% du PIB de l’UE). Des programmes
scientifiques
coopératifs pourraient être lancés par grands
domaines en s’appuyant sur des
budgets et des structures autonomes dotées d’une certaine
permanence. Des
agences européennes technologiques chargées de promouvoir
et de coordonner,
directement au niveau européen, les actions dans les domaines
des technologies informatiques
et des technologies du vivant pourraient être
créées. Des organismes publics de
recherche européens pourraient être mis en place dans le
même esprit. Politique industrielle et grands programmes au niveau
européen
La notion de politique industrielle trouve difficilement sa place au niveau communautaire et est étrangère à la culture de nombreux Etats membres. Elle n’a été reconnue qu’en 1994 sous le terme de « politique de compétitivité industrielle ». Elle se limite à des mesures à caractère horizontal visant à améliorer l’environnement des entreprises et demeure soumise à la toute puissante politique de la concurrence. Une conception élargie de la politique industrielle apparaît nécessaire et pourrait retenir les axes suivants. Le principe de grands
programmes publics devrait être réhabilité au
niveau européen en tirant profit
de l’expérience accumulée dans le passé. Plusieurs
domaines seraient concernés.
Il s’agit d’abord de programmes technologiques portant sur des projets
précis,
tels que le projet de localisation par satellite Gallileo,
relancé au sommet de
Barcelone de mars 2002, ou le projet de transporteur de troupes. Ces
projets,
qui relèvent des hautes technologies, auraient des effets
d’entraînement sur un
ensemble de groupes européens et de laboratoires de recherche,
construisant,
par la pratique, des réseaux de coopération. Il s’agit ensuite de
programmes d’infrastructures qui apparaîtraient comme les
compléments
nécessaires des politiques de libéralisation mises en
œuvre dans les services
publics. L’Europe pourrait se doter de schémas directeurs dans
les domaines des
transports, de l’électricité, du gaz, des
télécommunications ou de la poste où
des programmes d’investissements, financés selon les cas sur
fonds publics ou
privés, seraient établis. La conduite des travaux ne
relèverait plus de la
coordination intergouvernementale mais d’opérateurs
européens, dotés de budgets
autonomes et chargés de la réalisation des projets
individuels. Les transports
ferroviaires constituent le domaine le plus exemplaire pour initier ce
type de
projet, comme l’a illustré le Plan de relance de la Commission
de décembre
2003. Des agences nationales de régulation ont été créées dans plusieurs secteurs des services (télécommunications, électricité) dans le cadre des politiques de libéralisation. La mise en place d’instances de régulation européennes, articulées avec ces agences nationales, apparaît nécessaire. Plus de pragmatisme devrait être introduit dans la
politique européenne
de la concurrence. Le dispositif
communautaire de contrôle des
ententes devrait moins rechercher le maintien d’une concurrence forte
considérée en elle même comme un facteur
d’efficience. La dimension économique
devrait être davantage prise en compte en reconnaissant que dans
bien des
secteurs la compétitivité des firmes repose sur les liens
durables noués entre
les différents acteurs, en autorisant des alliances et en
proposant des
contrats types pour les accords de coopération. La
surveillance des concentrations, devenue le dispositif
phare de la politique de la concurrence, devrait également
être assouplie. La
définition du « marché pertinent »,
sur lequel le risque de position
dominante est apprécié, devrait être élargie
au niveau mondial et non limitée à
la seule dimension européenne, voire nationale dans certains
cas. Une vision
dynamique ne se réduisant pas au seul impact sur la concurrence
effective et
intégrant l’évolution future des marchés devrait
prévaloir. Dans l’ensemble la
concentration est plus limitée en Europe qu’aux Etats-Unis et
les entreprises
de taille moyenne y sont plus faibles. En fonction des circonstances,
des
entreprises européennes devraient pouvoir renforcer leurs
positions sans être
pénalisées vis-à-vis de concurrents non
européens. Dans le
même esprit, des politiques sectorielles,
promouvant des infrastructures ou des investissements
spécifiques, pourraient
être élaborées en collaboration avec les firmes des
secteurs concernés. Les
aides d’Etat sont proscrites afin d’éviter que des pratiques
unilatérales
soient sources de distorsions et ne faussent la concurrence. Seules
sont, en
théorie, autorisées les aides de portée
générale ne bénéficiant pas à
certaines
entreprises ou à certains secteurs. En pratique des
dérogations existent déjà
pour les aides en faveur des régions en difficulté, le
soutien aux PME, les
aides à l’environnement et à la R&D. Les dispositifs
de contrôle existants
devraient gagner à la fois en souplesse et en cohérence.
En souplesse en ne
cherchant pas, comme cela est le cas, à promouvoir une
stratégie unilatérale de
réduction des aides nationales. En cohérence en
s’efforçant de davantage
articuler le contrôle des aides nationales avec les politiques
communautaires
existant, par exemple, en matière d’aides régionales
financées sur les Fonds
structurels ou en matière d’aides à la recherche. La préservation et le renforcement
des services publics Les services publics ou
encore « services d’intérêt économique
général », selon la
terminologie de la Commission, correspondent à la fourniture de
biens et
services essentiels à la vie quotidienne et à l’exercice
de droits fondamentaux
de la personne (garantie d’accès à l’énergie, aux
soins, aux transports, aux
communications, à l’éducation ou à la santé
en tout point du territoire, sans
discrimination et de manière égale pour tous). Ils
contribuent à la cohésion
économique, sociale et territoriale. Ils peuvent être
rendus, soit par des
administrations, soit par des entreprises publiques ou privées,
sous certaines
conditions. Ils sont au cœur du « modèle
européen » mais ont été directement
affectés par la politique de libéralisation et
d’ouverture à la concurrence
depuis les années 1990. Dans les
traités fondateurs de l’UE, comme dans le projet
de Constitution, le principe de base demeure celui de la concurrence,
même si
une place est reconnue aux « services d’intérêt
économique général »
en autorisant les Etats nationaux à définir, avec une
relative autonomie, le
champ de leurs services publics. L’OMC constitue, par ailleurs, avec
l’Accord
général sur le commerce des services (AGCS), un cadre
plus général,
particulièrement contraignant et inquiétant pour les
services publics. La
directive Bolkenstein accentue ce phénomène. Dans ce
contexte peu favorable trois
points peuvent cependant être notés car ils laissent une
certaine marge de
manœuvre: -La
reconnaissance dans les directives de la notion de
« réseau », marquée par la
persistance de rendements croissants sur
certains segments d’activité, justifie le maintien d’un statut
de monopole dans
les domaines correspondants et laisse la voie ouverte à des
interventions
publiques, sans que le statut de celles-ci soit clairement
explicité. -L’obligation
de « service universel » est
également reconnue dans les directives sectorielles, ce dernier
étant défini comme
« un ensemble de services minimal d’une qualité
donnée, accessible à tous
et à un prix abordable ». -Enfin, la
mission de « service économique
d’intérêt
général » a été
réaffirmée dans les textes récents, y compris dans
la
Charte européenne des droits fondamentaux, et dans le projet de
Constitution
(« L’Union reconnaît et respecte l’accès aux
services d’intérêt économique
général tel qu’il est prévu par les
législations et pratiques nationales afin
de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de
l’Union », Article
II-36 ; « L’Union et ses Etats membres, chacun dans les
limites de
leurs compétences respectives, veillent à ce que ces
services fonctionnent sur
la base de principes et dans des conditions, notamment
économiques et financières,
qui leur permettent d’accomplir leurs missions. La loi
européenne définit ces
principes et ces conditions », Article III-6).
Jusqu’à présent ces textes
n’ont eu pour l’instant que peu de portée opératoire mais
le principe d’une loi
européenne peut ouvrir un nouveau cadre juridique. Trois
options peuvent être envisagées pour préserver la
place des services publics.
Enfin la
libéralisation des services réseaux devrait être
accompagnée d’une politique industrielle, non seulement au
niveau du rôle des
régulateurs, nationaux ou européens, gérant les
distorsions qui interviennent
et prenant en charge les relations entre les entreprises publiques et
les
entreprises privées, mais aussi au niveau de la mise en place
d’une politique
d’infrastructures européennes ambitieuse, capable
d’accroître la croissance
potentielle de l’ensemble de l’UE, et fondée sur une
appréciation large des
externalités de réseaux. Une politique régionale maintenue et élargie
à l’Est
Les politiques régionales
européennes ont une importance non négligeable puisque
les Fonds structurels et
les Fonds de cohésion représentaient en moyenne 0.45% du
PIB de l’Union de 1994
à 1999 avec des apports financiers beaucoup plus
élevés pour les pays du Sud.
Mais pour la période 2000-2006 une baisse a été
programmée (0.4% du PIB
européen par an). L’efficacité des Fonds structurels dans
la réduction des
inégalités régionales donne lieu à
débat. Selon certains ils ne semblent pas
avoir un grand impact (Fagerberg et Verspagen, 2000) ou, bien que
significatifs
au plan économétrique, n’avoir qu’un impact
limité. Les Fonds structurels
investis dans les infrastructures auraient renforcé la
convergence entre les
pays en accélérant la croissance des régions
déjà favorisées des pays pauvres
et sans réduire les inégalités régionales
internes. L’efficacité des Fonds
structurels serait d’autant plus marquée que la région
concernée est plus riche
(Martin, 1999). Sur le plan opérationnel le
montage des projets financés dans le cadre des Fonds
structurels, puis leur
mise en œuvre, supposent des interactions complexes entre les
institutions
régionales, nationales et européennes. Dans de nombreux
pays l’élaboration et
la gestion des programmes apparaissent trop centralisées. Entre
la lourdeur des
dossiers communautaires, les exigences de contrôle au niveau
national et le
recours au cofinancement, la consommation des fonds structurels est
souvent
très lente. Au delà de ces problèmes
traditionnels, l’élargissement de l’UE soulève de
redoutables défis (Begg,
2002). L’entrée dans l’UE des pays candidats abaisse très
sensiblement le
revenu moyen par tête et exclut du seuil
d’éligibilité aux Fonds structurels
(en dessous de 75%) un grand nombre de régions qui en
bénéficient actuellement,
sans que leur situation ait été en rien modifiée.
Selon le rapport sur la
cohésion de la Commission (2002), le nombre de régions de
l’UE à 15 situées en
dessous du seuil tomberait de 46 à 19. Il serait envisageable de
relever le
seuil, pour le porter, par exemple, au niveau de celui des Fonds de
cohésion
(90% du revenu par tête de l’UE) mais l’on se heurterait alors
à des
contraintes budgétaires difficiles à surmonter dans le
cadre d’un budget
européen plafonné à 1.27% du PIB européen.
S’agissant des nouveaux entrants, il
est envisagé de limiter les transferts à 4% du PIB par
pays pour tenir compte
des capacités d’absorption limitées, telles qu’elles ont
pu être observées lors
de l’élargissement aux pays de l’Europe du Sud. Ceci donnerait
un coût estimé
entre 0.18% et 0.38% du PIB de l’UE, selon que les calculs sont
effectués à
prix courants ou à la PPA. Une telle enveloppe financière
ne paraît pas
insupportable. Deux scénarios peuvent être
esquissés dès lors que l’on écarte la
stratégie de redéploiement intégral de la
politique régionale en direction des seuls PECO, comme cela a
été avancé dans
le rapport Sapir. -Le scénario le plus
favorable est celui d’un budget européen qui serait accru dans
des proportions
significatives (autour de 5% du PIB à horizon de quelques
années). Ceci
donnerait plus de marge de manœuvre pour, par exemple, accroître
le seuil
d’éligibilité des Fonds structurels. Un plus grand nombre
de régions moins
développées pourrait ainsi bénéficier de
transferts, en particulier dans les
pays les moins avancés de l’UE à 15, ce qui
préserverait les mécanismes de
solidarité dans l’ensemble de l’UE. -Dans l’hypothèse où une
telle évolution ne pourrait être retenue en raison des
contraintes politiques,
un compromis moins ambitieux pourrait être recherché.
Comme lors des précédents
élargissements, de nouveaux Fonds structurels pourraient
être créés en faveur
des pays nouveaux entrants avec une enveloppe maximum de 0.4% du PIB de
l’UE.
Un tel volume de financement pourrait être assuré
grâce à de nouveaux
instruments émis par la BEI et la BERD. Les actuels Fonds
structurels et Fonds de
cohésion seraient repartagés entre les pays de l’UE
à 15 avec une renégociation
du seuil d’éligibilité et des modalités
d’attribution. Dans les deux scénarios la
procédure des Fonds structurels devrait être
réformée pour en accroître
l’efficacité. Plus d’autonomie devrait être donnée
aux plans de développement
locaux, régionaux et nationaux dans lesquels les Fonds
structurels jouent un
rôle de cofinancement en allégeant les procédures
de contrôle de la Commission.
Une plus grande articulation serait réalisée avec les
programmes technologiques
européens et les programmes d’infrastructures
trans-européennes précédemment
évoqués. Une politique agricole commune réformée
Face aux problèmes bien
réels posés par la PAC, les propositions de
réforme ont été nombreuses et la
PAC a effectivement été infléchie depuis les
années 1980. Depuis la fin des
années 1990 la pression pour une réforme plus radicale
s’est renforcée. La
tendance générale a été de
réintroduire le marché. En pratique, quatre séries
de propositions peuvent être distinguées. -La renationalisation de la PAC, c'est-à-dire sa suppression, est une tentation très présente au Royaume-Uni et se trouve également dans le rapport Sapir (2003). La position britannique est favorable aux libres importations de produits agricoles avec un système de prix garantis pour les agriculteurs, la différence entre les prix garantis et les prix de vente fixés par le marché étant couverte par des subventions qui seraient re-nationalisées et gérées d’une manière autonome dans chaque Etat. Cette position est, en apparence, habile car ouverte aux importations des pays en voie de développement (PVD) et conforme aux principes libre-échangistes. Elle pose plusieurs problèmes. Les consommateurs supporteraient les effets de la forte instabilité des marchés agricoles. La fixation du prix garanti est délicate, ainsi que celle du niveau de production. Si celui-ci est libre, on retrouve les risques de surproduction. La définition de quotas individuels serait nécessaire, mais est rarement mise en avant. -La Commission cherche
à réformer la PAC pour en
réduire le coût dans le contexte de
l’élargissement, pour retrouver des marges
de manœuvre budgétaires et pour rendre la PAC acceptable dans
les négociations
internationales. La position de la Commission est de modifier la nature
des
aides en passant d’aides aux surfaces ou par bête à des
aides aux pratiques
agricoles et à la production d’aménités. Le
« découplage » des aides
vis-à-vis de la production serait ainsi réalisé et
la production, comme les
prix, serait orientée par le marché. Cette position, qui
rejoint celle de
l’Allemagne, a le mérite de favoriser les « bonnes
pratiques ». Mais
sa référence au marché, qui demeure centrale, est
problématique puisque
l’histoire montre l’incapacité du marché à assurer
une bonne régulation dans le
domaine agricole. Le compromis auquel sont parvenus les ministres de
l’Agriculture en juin 2003 est un mélange curieux, peu
cohérent, sans doute
transitoire et surtout destiné à donner une meilleure
figure dans les
négociations internationales. Le découplage commencera en
2005 ou 2007 selon
les pays. Il ne sera que partiel pour certains produits, d’autres y
échapperont. -Dans le cadre de l’élargissement aux Pays de l’Europe de l’Est, les problèmes agricoles occupent une place centrale. Les aides communautaires ont été plafonnées à 25% des montants actuels par hectare ou par bête avec une montée progressive pour atteindre 100% en 2013. Ce plafonnement, mal vécu dans les pays nouveaux entrants, est justifié, du point de vue de la Commission, par les contraintes imposées par l’enveloppe budgétaire actuelle, par la crainte d’un accroissement incontrôlé des excédents agricoles en cas d’aides plus importantes et, enfin, par les problèmes de redistribution des revenus internes aux pays candidats que poseraient des aides d’un montant trop élevé par rapport à la moyenne des revenus nationaux. -Les négociations internationales dans le cadre de l’OMC soulèvent une dernière série de questions. Au sein de l’OMC le débat est mal engagé avec les pays anglo-saxons qui cherchent à préserver et promouvoir leurs intérêts derrière des propositions séduisantes (acceptation des aides favorisant les « bonnes pratiques », réduction progressive des aides sources de distorsions, défense des PVD par les pays du groupe de Cairns qui ne ferait que favoriser les pays agricoles hautement productifs et nullement les PVD les plus démunis). Les USA ont renoué dans le cadre du Farm Bill de 2002 avec la pratique des prix garantis, même s’ils mettent à nouveau en avant, et non sans hypocrisie, leur volonté de réduire ces aides agricoles et de revenir, à terme, aux mécanismes du marché. Un démantèlement mal conduit de la PAC au sein de l’OMC aurait des conséquences négatives sur les agriculteurs européens et, plus généralement, sur les économies européennes, sans apporter de remèdes pour les PVD à agriculture traditionnelle. Dans ce contexte il est
préférable de revenir aux principes
« rooseveltiens » qui ont servi
de fondements à la politique agricole au milieu des
années 1930 et de
clairement reconnaître l’ « exception
agricole ». Les produits
agricoles ne peuvent être régis par les seules lois du
commerce international.
L’instabilité des marchés agricoles, en accroissant les
risques, a des effets
très négatifs sur l’ensemble des activités
agricoles qui, à moyen terme,
dépassent largement les gains résultant de l’exploitation
des avantages
comparatifs (risque de désertification et de
déstructuration des zones rurales
des pays européens, absence de toutes activités
alternatives à court-moyen
terme dans les pays les plus pauvres). Les effets
bénéfiques du développement
des échanges ne peuvent se manifester que si les effets pervers
des marchés
libres sont corrigés par des mesures de politique agricole,
aussi bien dans les
pays développés que dans les PVD. Les leçons du
passé montrent que ceci passe
par des mesures de soutien des prix, à condition
d’empêcher les phénomènes de
surproduction par des mesures de contrôle de la production
(Boussard, 2003). Les systèmes de prix
garantis doivent donc être couplés avec des quotas de
production. Ces prix
doivent être suffisamment élevés pour inciter les
agriculteurs à produire. Les
quotas doivent être individualisés et fixés de
telle sorte que la somme des
quotas individuels (et nationaux) soit légèrement
inférieure à la consommation
totale de l’UE. On évite ainsi la surproduction et on laisse le
marché libre
faire l’ajustement entre la demande intérieure européenne
et l’offre intérieure
et mondiale. Dans ce cadre les importations sont donc libres. Mis en
place au
niveau de l’ensemble de l’UE, un tel mécanisme contribuerait
à stabiliser le
système mondial. Les prix à la consommation sont
déterminés à partir des prix
mondiaux, les consommateurs subissant le contrecoup des fluctuations
des
marchés internationaux. La différence entre prix à
la consommation et prix
garantis aux agriculteurs est couverte par des subventions publiques.
Les prix
garantis sont différents par zones en fonction des niveaux de
développement et
de productivité. Les quotas de production sont
échangeables, mais pas entre
zones différentes, pour éviter des
phénomènes de concentration géographique.
Enfin les quotas individuels peuvent être utilisés pour
réduire la production,
notamment dans le cas des grosses exploitations. Les quotas de
production sont
générateurs de rentes qui peuvent être
appréciées à travers les variations des
prix des quotas (puisque ceux-ci sont commercialisables). Des
négociations
régulières peuvent permettre de limiter une hausse
excessive de la rente. Dans ce cadre l’intégration
des pays de l’Europe de l’Est
pourrait s’effectuer sur une base plus équilibrée sans
distorsion de traitement
entre les pays puisque les mêmes règles s’appliqueraient.
Les quotas seraient
évalués dans chaque pays sur une base historique, avec
des productions dont les
possibilités de croissance future seraient limitées, ce
qui écarterait les
craintes de surproduction. Les prix garantis seraient suffisamment
élevés pour
assurer une progression significative du revenu des agriculteurs et
permettre
une modernisation des méthodes de production. Ils devraient, en
revanche, ne
pas l’être trop pour éviter une distorsion avec
l’évolution des revenus non
agricoles. De même une solution plus
équilibrée pourrait être obtenue au niveau des Accords euro-méditerranéens. Le principe de
libre importation
ouvrirait des possibilités nouvelles aux agricultures de ces
pays. Mais ces
pays ont tendance à avoir une structure déficitaire de
leurs échanges de
produits agricoles du fait de la montée des importations de
céréales, résultant
de la pression démographique. Ils sont confrontés
à la nécessité de développer
une autosuffisance alimentaire, ce qui supposerait la définition
de politiques
agricoles actives assez éloignées des principes du libre
échange. Au total, la
solution proposée pose deux types
de problèmes. -La fixation de prix
garantis est toujours un exercice difficile, source de
négociations délicates
où s’exercent de multiples pressions. L’expérience
accumulée au niveau européen
par 40 années de PAC ne rend cependant pas l’exercice
impossible. L’existence
de renégociations périodiques est une garantie que les
ajustements nécessaires
pourront être réalisés. - Cette
proposition de réforme de la PAC est en
décalage avec les règles de l’OMC, ce qui ne doit pas
surprendre puisqu’elle
repose sur l’idée que les produits agricoles ne peuvent
être régis par les
seules lois du commerce international. Dans le cadre de l’OMC les
subventions à
l’agriculture ne sont autorisées que d’une manière
restrictive. Certaines sont
acceptables (« boîte verte » : aides
à l’environnement, aides au
développement rural, etc) mais reposent sur le principe du
« découplage » (pas de lien avec les
niveaux de production ou les
prix en vigueur). D’autres ne le sont pas (« boîte
orange » :
mesures de soutien des prix ou subventions liées aux
quantités produites) ou
devraient être progressivement réduites. La
catégorie « boîte bleue »
est intermédiaire et correspond au cas où les
agriculteurs sont obligés de limiter
leur production, ce qui peut être considéré comme
le cas avec les quotas. Une politique commerciale
européenne plus équilibrée De nouvelles orientations pour l’OMC Pour les pays développés l’OMC
est un lieu de
négociation où l’on s’échange des concessions pour
limiter les conflits
contreproductifs en cherchant à construire un cadre pour un
commerce
international régulé fondé sur le respect de la
concurrence et profitant à tous
de manière équilibrée. Son mode de fonctionnement
actuel en fait un des instruments
privilégiés de diffusion des politiques libérales
en imposant des règles de
libéralisation uniformes sans tenir compte, ni des
spécificités nationales
(choix en faveur d’un modèle moins inégalitaire,
modèle social), ni des niveaux
inégaux de développement. L’OMC est largement
dominé par les grandes
puissances, Etats-Unis et UE en premier lieu, qui contribuent à
fixer à
l’avance les grandes lignes des négociations. Ce mode de
fonctionnement fait de
plus en plus l’objet de critiques de la part de coalitions larges et
souvent
hétéroclites qui peuvent contribuer au blocage des
négociations. Mais
l’appareil demeure intact avec ses procédures lourdes et
complexes et le
processus de libéralisation se poursuit au service des
intérêts dominants. Trois points pourraient être mis en
avant par l’UE,
une démocratisation de l’OMC, la réintroduction d’un
traitement plus
différencié des dossiers, enfin le respect de droits
fondamentaux. -Une démocratisation de l’OMC est
nécessaire pour
retirer le pouvoir de contrôle de fait exercé par les
grandes puissances et
établir un mode de fonctionnement plus équilibré.
Cela implique un renforcement
du poids des pays en développement au sein de l’OMC qui
dépasse la simple règle
formelle existant actuellement un pays, une voix. La fixation des
ordres du
jour devrait résulter de négociations globales dans une
plus grande
transparence. Les présidences des conférences et des
groupes de travail
devraient fonctionner d’une manière plus
équilibrée. Le fonctionnement de l’ORD
devrait être revu en profondeur. -Les règles de libéralisation
ne devraient plus
s’appliquer d’une manière uniforme vis-à-vis des pays en
développement et
devraient prendre en compte les inégalités de
développement. Le principe du
traitement différencié a été vidé de
sa substance avec la vague de
libéralisation. Il devrait retrouver sa place au sein de l’OMC
en admettant que
les contraintes ne devraient pas s’exercer de la même
façon compte tenu des
obstacles au développement existants. Des mécanismes de
redistribution au
niveau mondial pourraient être inclus dans les principes de l’OMC
en fonction
du niveau de développement. Les pays en développement
pourraient ainsi
bénéficier d’un assouplissement dans la gestion des
Droits de Propriété
Intellectuelle (DPI), à l’image de ce qui a commencé
à être obtenu pour les
médicaments, ou maintenir certaines protections en termes
d’ouverture de
marchés, de politique de marchés publics ou d’accueil des
investissements
étrangers. -Le respect de droits fondamentaux (droit
à la santé,
respect de normes fondamentales de travail, défense des services
publics
reconnus comme un moyen pour toute personne d’exercer ses droits
fondamentaux)
devrait être mis en avant à côté de la
préservation de l’environnement qui est
déjà reconnu par l’OMC. Il ne devrait pas être
perçu comme un alibi risquant de
faire renaître des pratiques protectionnistes remettant en cause
le principe de
libre concurrence, comme cela est souvent dénoncé par les
experts de l’OMC. De nouveaux axes de négociation Ceci pourrait conduire l’UE à proposer
de nouvelles
orientations au sein de l’OMC par rapport aux pays en
développement et par
rapport aux autres pays industrialisés. Le fonctionnement de
l’ORD devrait
d’autre part être revu en profondeur. Vis-à-vis des pays en
développement les pays
du Nord devraient négocier des asymétries
favorables pour leur permettre de rattraper leur retard de
développement à
horizon de 20 ans. Plusieurs domaines sont concernés dans cette
perspective. Des protections temporaires pourraient
être acceptées,
tout en se combinant avec la poursuite de l’ouverture des pays du Nord.
Contrairement aux positions actuellement mises en avant, l’UE cesserait
de
contraindre les pays à ouvrir davantage leurs marchés et
de s’opposer à ceux
qui refusent d’abaisser leurs droits de douane. Une approche plus
souple et
moins arrogante, prenant davantage en compte les
spécificités de chaque pays ou
de chaque zone, devrait prévaloir. Une asymétrie de même nature
devrait aussi exister
pour les « sujets de Singapour » qui concernent
la concurrence,
l’investissement international, l’accès aux marchés
publics et la facilitation
des échanges. Comme cela a déjà été
décidé en juillet 2004, l’UE ne devrait
plus mettre en avant ces questions, même ramenées aux deux
dernières. L’UE
devrait aussi cesser de promouvoir des négociations sur ces
thèmes avec les
pays prêts à le faire dans le cadre du
plurilatéralisme. Les accords régionaux
précédemment passés, comme ceux
de Cotonou ou d’Euro-Med, devraient être infléchis dans la
même direction. Si
la libéralisation intra-zone doit bien être
encouragée pour accroître
l’intégration régionale, des asymétries favorables
aux régions moins
développées devraient être négociées.
Les accords sur les DPI devraient être
assouplis en
faveur des pays en développement afin de favoriser la promotion
d’industries
nationales : réduction de la durée des brevets,
introduction de
dérogations aux règles sur l’imitation,
Des transferts seraient reversés aux
pays d’origine
fournisseurs de main d’œuvre qualifiée pour couvrir les
coûts d’éducation
supportés par ces pays. Ce type de reversement rendrait plus
acceptable la
politique d’accueil de main d’œuvre qualifiée temporaire
actuellement proposée
par l’UE. Enfin l’aide aux pays en
développement, actuellement
faible mais mal affectée et mal utilisée, devrait
être accrue à condition
d’être radicalement transformée dans son mode de gestion. Vis-à-vis des autres pays
industrialisés et, en
premier lieu, vis-à-vis des Etats-Unis,
l’UE devrait mettre en avant dans sa politique commerciale les
spécificités du
modèle européen qu’elle entend préserver en ne se
limitant pas à la seule
exception culturelle. Au premier rang se trouvent le
« modèle social
européen » et ses implications en termes de politique
de santé et de
politiques redistributives, mais aussi les services publics qui ne se
réduisent
pas au simple service universel. Cette question renvoie à la
renégociation de
l’AGCS sur laquelle on revient plus loin. L’UE devrait d’autre part rechercher un
rééquilibrage
des positions des différents partenaires dans, au moins, trois
domaines, les
marchés publics et les marchés financiers
européens qui ont été ouverts sans
contrepartie aucune et où le principe de
réciprocité devrait être la règle, les
droits de propriété intellectuelle où l’UE est de
plus en plus sur la
défensive. En matière de DPI les insuffisances de
la recherche
dans l’UE jouent un rôle essentiel. L’incapacité à
mettre en place un véritable
brevet communautaire valable pour toute l’UE devrait également
être surmontée.
Le poids des lobbies des Offices nationaux est ici en cause, mais aussi
l’insuffisance de certains tribunaux nationaux compétents en la
matière
combinée avec l’absence d’un tribunal européen. A
côté de ces faiblesses
proprement européennes, les positions excessivement dominatrices
des
Etats-Unis, notamment en ce qui concerne le brevetage du vivant,
devraient être
plus fermement combattues (Coriat, 2002). Le fonctionnement de l’ORD devrait être
profondément
revu pour le rendre moins défavorable aux pays en
développement. Tout en
garantissant le principe du multilatéralisme, l’ORD devrait
être déprivatisé et
placé sous le contrôle des Nations Unies. Il conviendrait
de bien séparer les
secteurs ou les domaines susceptibles de faire, sans restrictions,
l’objet de
négociations au sein de l’OMC de ceux qui devraient être
placés sous l’égide
des instances compétentes des Nations Unies pour que des
règles et des normes
soient définies. L’OMC serait alors chargée d’appliquer
des sanctions commerciales
dans ce cadre. Par exemple, pour les DPI sur les médicaments
l’OMS devrait être
le lieu de définition des règlements en matière de
DPI et d’échanges en
fonction des besoins et de l’état sanitaire des populations.
Pour les produits
agricoles une distinction devrait être faite entre les produits
naturels et les
OGM dont la réglementation du commerce devrait être
établie avec les instances
compétentes de la FAO. Pour les biens industriels et les
services sans
spécificité les négociations
s’intégreraient sans restriction dans le cadre de
l’OMC. S’agissant enfin des normes sociales, l’aide au
développement constitue
sans doute le moyen le plus efficace pour favoriser un meilleur respect
de
celles-ci dans les pays en développement. Cependant, pour
permettre à l’OIT de
jouer son rôle de contrôle dans ce domaine, des sanctions
commerciales
pourraient être imposées dans le cadre de l’OMC aux pays
ne respectant les
normes fondamentales de travail. Enfin une institution globale relevant
des
Nations Unies couvrirait et coordonnerait les différentes
instances
sectorielles de l’OMS, la FAO ou de l’OIT mises à contribution
pour définir ces
règles et ces normes. Une légitimité politique et
une meilleure coordination
serait ainsi assurée (Cling and alii, 2003). Sur un plan plus opérationnel les
mécanismes des
sanctions prévues dans l’OMC devraient être revus pour
renforcer leur
efficacité en prévoyant des réparations pour les
dommages subis et en mettant
effectivement à contribution les secteurs à l’origine de
la condamnation, ce
qui n’est pas le cas actuellement. Enfin, en raison de la
complexité des
dossiers traités à l’ORD, les pays les moins
avancés devraient bénéficier d’un
soutien technique spécifique. Au niveau de la forme, les
négociations devraient être
conduites au nom de l’UE, non par un Commissaire faisant des
propositions, puis
obtenant un mandat de négociation de la part du Conseil, mais
par un
représentant du Conseil, un Mr Commerce, qui aurait une
légitimité politique
plus claire comme représentant des gouvernements nationaux. Renégocier l’AGCS Les offres de libéralisation de la
Commission de 2003
ont été, selon ses propres termes,
« significatives et
substantielles ». Si l’éducation, la santé et
la culture sont restées en
dehors et si les objectifs de service universel sont
préservés dans la poste et
les télécommunications, aucune garantie réelle
n’existe pour les négociations à
venir dans le cadre actuel de l’AGCS Dans son principe l’AGCS pousse
à une
libéralisation progressive et générale. De
nombreuses déclarations montrent que
la santé et l’éducation sont à terme
particulièrement visées (Jennar, 2003). Pour
éviter une telle dérive, il est essentiel que le
mandat de l’UE qui négocie pour l’ensemble des Etats membres
s’appuie sur une
conception claire du service public au niveau européen allant
au-delà de la
simple notion de service universel. Les services publics correspondent
à la
fourniture de biens et de services essentiels à la vie
quotidienne et à
l’exercice de droits fondamentaux de la personne. Ils contribuent d’une
manière
essentielle à la cohésion économique et sociale du
territoire. Ils devraient
avoir un statut spécifique dans les négociations de
manière à être clairement
écartés de toute offre ultérieure de
libéralisation.
A titre de simple ordre de
grandeur, le coût total de la politique
précédemment esquissée peut être
estimée à 2% du PIB de l’UE à 15 en moyenne par
an, à plein régime, avec la
décomposition suivante : aide à la recherche 0.4%,
politique industrielle
et grands programmes 0.4%, politique régionale en direction des
PECO 0.4%,
Fonds de stabilisation de l’emploi 0.3%, Fonds social 0.5%. La PAC et
la
politique régionale tournée vers l’UE à 15 sont
supposées conserver des
montants globalement inchangés. Si l’enveloppe financière
demeure d’une ampleur acceptable, les conditions de mise en œuvre sont
difficiles dans le contexte actuel. Une montée en régime,
même très
progressive, du Budget européen parait peu réaliste. Les
blocages apparus dans l’UE
à 15 ne seront que renforcés dans l’UE élargie. Il
convient dès lors de
distinguer ce qui peut être envisagé au niveau de l’UE
à 25 pour éviter la
dilution dans une sorte d’Organisation des Nations Unies de l’Europe
soumise à
une concurrence renforcée et à des
inégalités croissantes et ce qui peut être
reconstruit sur une base plus réduite pour davantage impulser la
croissance à
moyen terme, tout en répondant mieux aux contraintes du pilotage
à court terme. Assurer la cohésion de l’Europe élargie
L’élargissement de l’UE
était nécessaire au plan politique mais la
préservation de la cohésion de l’UE
élargie ne sera pas aisée. Si les effets attendus pour
les PECO sont positifs à
moyen terme, les risques de ralentissement à court terme,
d’accroissement des
inégalités et de polarisation des activités sont
réels. L’extension de la
politique régionale et de la PAC aux PECO apparaît
nécessaire dans cette
perspective. La politique régionale devrait être
articulée avec certains des
grands programmes technologiques et d’infrastructures envisagés
par ailleurs.
Enfin, pour accroître les marges de manœuvre à court
terme, la politique de
change devrait éviter une intégration trop rapide dans la
zone euro malgré la
tentation de certains PECO. En contrepartie, les pays de la zone euro
devrait
fournir une aide à la stabilisation financière. Au total,
en supposant que
l’extension de la PAC se fait à enveloppe constante grâce
à la réforme engagée,
la charge de financement concernerait essentiellement l’extension de la
politique
régionale qui pourrait se faire par le biais de nouveaux
instruments émis par
la BEI et la BERD. A cela s’ajouterait la montée en
régime progressive du Fonds
social européen. Accroître les capacités de réponse de
la zone euro
L’UE à 15 se trouve coupée
en deux, la zone euro et la zone hors euro, pour une période
sans doute assez
longue. Les conséquences sur les modalités de
régulation à court terme sont
loin d’être négligeables. Les capacités de
réponse de la zone euro doivent être
améliorées, ce qui passe par un renforcement des moyens
d’action de
l’Eurogroupe, une réforme profonde du PSC, un
élargissement des objectifs de la
BCE et une réelle coordination avec l’Eurogroupe, une prise en
compte de la
politique salariale, enfin la mise en place d’un Fonds de stabilisation
de
l’emploi pour gérer les chocs asymétriques. Seule cette
dernière mesure aurait
une incidence budgétaire. Resterait enfin à
définir à court terme un dernier
instrument, à vocation non permanente, pour soutenir la
croissance, par exemple
sous forme de possibilité d’un emprunt européen avec
reversement aux
états-membres pour financer des plans de relance. Il est
vraisemblable que les
progrès demeureront très inégaux sur ces
différents points, notamment en raison
de l’hétérogénéité des pays de la
zone euro et de leur divergence de points de
vue, ce qui risque d’entraîner des difficultés
persistantes. La question de
savoir si des progrès plus importants pourraient être
réalisés sur une base
plus réduite demeure ouverte. Mobiliser des ressources autour de grands programmes
structurants
Les politiques structurelles
pourraient ouvrir davantage d’opportunités pour des programmes
à la carte dans
différents domaines : schémas directeurs et grands
programmes dans les
transports, les télécommunications ou l’énergie
avec, pour la réalisation, la
mise en place d’opérateurs européens dotés de
budgets autonomes ; création
par grands domaines d’agences européennes technologiques et
d’agences
européennes de recherche. Les possibilités de
coopérations renforcées prévues
dans le projet de Constitution ouvrent des voies utiles mais les
modalités de
mise en œuvre devraient en être facilitées, notamment en
simplifiant les
critères devant être respectés. Le type de
dépenses (investissements soutenant
la croissance à moyen terme) et les volumes de financement
à trouver justifient
le recours à des emprunts mobilisant de nouveaux instruments de
la BEI ou de la
BERD. Cette perspective peut s’avérer fructueuse mais les
expériences passées
ont montré la lourdeur et la lenteur de ces opérations.
L’impact à moyen terme
pourrait donc n’être que quantitativement limité, sauf si
une impulsion d’une
ampleur considérable était donnée à ce
processus.
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(2003), « An agenda for a growing [1] Ces orientations se retrouvent en partie dans les Euro-memorandum publiés chaque année depuis 1996 par le groupe de « Economistes européens pour une politique économique alternative en Europe » ; www.memo-europe.uni-bremen.de. Elles sont présentées d’une manière plus complète dans un ouvrage collectif édité par Jorg Huffschmid « Economic policy for a Social Europe : a critique of neo-liberalism and proposals for alternative », à paraître aux éditions Palgrave, Royaume-Uni en septembre 2005. Les dimensions plus politiques ayant trait à l’exercice de la démocratie et au rôle respectif du Conseil, de la Commission, des parlements nationaux et européen sont laissées de côté. |