Conditions
de
travail, fonds structurels, services publics :
Le virage
néo-libéral des années 1990 en Europe
Jean
Gadrey
Professeur émérite d’économie à
l’Université Lille I
Les
Français vont se prononcer, le 29 mai, pour ou contre un texte
à portée
constitutionnelle que peut-être moins de 1 % d’entre eux
auront lu, quels
que soient les efforts louables des militants et des associations qui
les
incitent à en prendre connaissance. Ils en connaîtront
éventuellement quelques
articles, ceux que divers médiateurs (responsables politiques,
médias,
syndicats, organisations militantes,
etc.) auront mis en avant à l’appui de leurs propres choix en
laissant souvent
dans l’ombre ceux qui ne les arrangent pas. Ce n’est pas un hasard si,
par
exemple, Valéry Giscard d’Estaing conseille aux électeurs
de ne pas
s’embarrasser de la partie III du texte, la plus volumineuse, et de
loin la
plus libérale.
Bien
qu’il soit utile et instructif de réfléchir aux
« avancées » ou aux
« reculs » du projet de Constitution par rapport
aux textes qui
régissent actuellement le fonctionnement de l’Union, il reste
que seule une
infime minorité de gens se prononcera en connaissance de cause.
Pour
autant, les électeurs qui voteront sans avoir lu le texte, ou
sur la base
d’informations très parcellaires, ne sont peut-être pas
« irrationnels ». Il se peut même que ce
qu’ils savent du contexte
soit plus important, pour se faire une opinion, que la lecture d’un
texte aride
et fait pour ne pas être lu. Ceux qui acceptent de consacrer du
temps à cette
lecture ne perdent pas leur temps. Ils peuvent peaufiner leurs
arguments,
contrer des arguments adverses, et surtout participer à une
meilleure
connaissance des enjeux par les citoyens. Mais on aurait tort de penser
que les
électeurs qui ne pourront pas aller jusqu’à ce niveau de
savoir sont condamnés
à exprimer la passion au détriment de la raison. D’autant
que la « passion
réfléchie » n’a pas à être exclue
de choix qui portent sur un projet de
civilisation – ou sur son dévoiement.
Tout
porte donc à croire que ce qui fondera d’abord le vote de
l’immense majorité
des électeurs est un jugement assez global sur l’Europe telle
qu’elle s’est
faite et telle qu’elle évolue actuellement, sur les perspectives
de la voir
évoluer dans un sens souhaité, et sur la
possibilité qu’un vote positif ou
négatif joue en ce sens. Le choix qui nous est offert à
l’occasion du
référendum constitutionnel implique donc de
réfléchir au moins autant au
contexte passé et actuel de la construction européenne
qu’au texte du projet de
Constitution lui-même.
1. Le revirement de
l’Europe des conditions de travail
De
1987 à 1992 : une riche production de normes de conditions
de travail, de
santé et de sécurité au travail
Après
Maastricht : des acquis menacés ou remis en cause
2. Les fonds
structurels européens minés par le
néo-libéralisme depuis la fin des années 1990
3. Un
tournant
semblable pour les services publics
Conclusion :
de bonnes raisons de voter « non »
Annexe
Projet de Traité de l'Europe
sociale
(mars 2004)
Ce texte est
à insérer dans la Partie III du Traité
constitutionnel en négociation (intitulée Les
politiques et le fonctionnement de l'Union). Il en constitue le
Titre III.
Nous, Peuples
unis d'Europe, ne pouvons pas accepter plus
longtemps de laisser la précarité, la pauvreté et
l'exclusion mettre à bas
notre cohésion sociale et les fondements même de nos
démocraties. L'histoire de
notre continent a montré que l'injustice sociale peut provoquer
des ravages
considérables et peut même déboucher sur des
périodes d'horreur. « Les
mêmes causes produisent les mêmes effets »
dit-on… Nous ne voulons pas que
nos enfants soient condamnés à vivre dans une
société de précarité. Nous ne
voulons pas que nos enfants connaissent l'horreur, que ce soit sur
notre
territoire ou ailleurs sur la planète.
Au nom de la
dignité humaine, au nom des valeurs qui
animaient ceux qui, au siècle dernier, ont décidé
de reconstruire la paix, nous
décidons ensemble de tout faire pour construire une
société de bien-être
social, une société d'épanouissement personnel et
de cohésion sociale
Article 1. Nous
nous donnons dix ans pour parvenir à ces 5
objectifs :
- un emploi
pour tous : un taux de chômage inférieur à
5 %;
- une
société solidaire : un taux de pauvreté
inférieur à
5 %;
- un toit pour
chacun : un taux de mal logés inférieur à
3 %;
-
l'égalité des chances : un taux d'illettrisme à
l'âge de
10 ans inférieur à 3 %;
-
solidarité avec les peuples du Sud : une aide publique
au développement supérieure à 1 % du PIB.
Des sanctions
comparables à celles infligées aux pays qui
ne respectent pas les critères de Maastricht seront
appliquées aux États qui ne
satisferaient pas ces critères sociaux en 2015.
Article 2. Pour
faciliter l'atteinte de cet objectif de
cohésion sociale, la politique menée par la Banque
centrale européenne (BCE)
poursuit un double objectif : lutter contre l'inflation et soutenir la
croissance. Ces deux objectifs sont d'égale importance. Afin
d'assurer la
meilleure coordination possible entre la politique monétaire et
les autres
dimensions d'un policy mix favorable à la cohésion
sociale, une loi cadre
définira les modalités de dialogue de la BCE et de la
Commission.
Article 3. La
règle de la majorité qualifiée s'applique
pour les décisions ayant trait à l'harmonisation des
fiscalités.
Article 4. La
construction de l'Union ne peut se faire par
le marché seul. L'intérêt général ne
peut être la somme des intérêts privés
qu'exprime le marché. Le long terme, le développement
durable, le respect des
droits fondamentaux comme la cohésion des territoires ne peuvent
être
durablement assurés par les règles de la concurrence.
Voilà pourquoi l'Union
reconnaît, à égalité avec le principe de
concurrence, le principe d'intérêt
général et l'utilité des services publics. L'Union
veille au respect du
principe d'égalité d'accès aux services
d'intérêt général pour tous les
citoyens et résidents. Elle s'attache, avec les Etats membres,
chacun dans le
cadre de ses compétences, à promouvoir les services
d'intérêt général en tant
que garants des droits fondamentaux, éléments du
modèle social européen et
liens d'appartenance à la société de l'ensemble
des citoyens, citoyennes et
résidents.
Chaque Etat
membre est tenu de garantir l'accès à des
services d'intérêt général de qualité
à tous les citoyens et résidents. Chaque
Etat membre est tenu d'en assurer le fonctionnement et le financement.
Une loi
cadre européenne précisera ces principes au niveau de
l'Union.
L'Union veille
au respect du principe de subsidiarité et de
libre administration des collectivités locales.
Article 5. Le
Parlement européen est chargé d'élaborer une
Charte du développement durable qui sera intégrée
dans le Traité
constitutionnel comme l'est la Charte des droits fondamentaux. Cette
Charte du
développement durable doit être adoptée avant 2009.
Article 6.
L'Europe reconnaît le droit des peuples à
l'autosuffisance alimentaire. Dès l'adoption de cette
Constitution, l'Union
doit mettre en cohérence avec ce principe ses positions dans les
négociations
internationales. Arrêt des exportations subventionnées,
régulation des volumes
et des prix des grandes productions… en cohérence avec ce
principe, l'Union
doit réformer sa propre politique agricole dans l'année
qui suit l'adoption de
ce Traité constitutionnel.
Article 7. La
politique commerciale de l'Union est fondée sur les principes de
réduction des
inégalités, de solidarité et de
développement durable. Chaque année, le
Parlement européen débat du bilan de la politique
commerciale de l'Union et de
ses objectifs.
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