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les avis les plus autorisés, à gauche comme à
droite, le projet de
Constitution, s'il était adopté, représenterait un
rempart majeur
contre "les excès du libéralisme" . Une confusion
essentielle
résulte ici de la signification attribuée au mot
libéralisme. En fait,
la doctrine libérale est une doctrine politique destinée
à assurer les
conditions, pour vivre ensemble, des ressortissants d'une
collectivité
donnée. Mais, dans les discussions actuelles, le "libéralisme"
correspond à ce qu'il conviendrait plutôt d'appeler la "chienlit
laisser-fairiste" . Il convient donc de mettre entre guillemets le
mot "libéralisme" , tel qu'il est utilisé
actuellement par les principaux partis politiques.
Je
me bornerai ici à deux exemples particulièrement
significatifs, parmi
une multitude d'autres. Le 24 mars, Jack Lang a présenté
sur RTL un
exposé passionné soutenant que la seule protection contre
"les excès du libéralisme" était
l'adoption du projet actuel de Constitution. Le même jour, la
presse faisait état de la "charge de Jacques Chirac contre
l'Europe libérale" , en s'appuyant précisément
sur la protection qui serait assurée par le projet de
Constitution contre les excès de l'"Europe libérale"
.
En réalité, il y a
là une erreur
fondamentale. En fait, l'article III-314 du projet de Constitution
stipule : "Par
l'établissement d'une union douanière,
conformément à l'article
III-151, l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au
développement
harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des
restrictions et aux investissements étrangers directs, ainsi
qu'à la
réduction des barrières douanières et autres."
Il résulte de cet article que non seulement la Constitution
envisagée ne protège en aucune façon contre les
excès du "libéralisme"
, mais au contraire que la Constitution projetée
institutionnalise la
suppression de toute protection des économies nationales de l'UE.
L'article
III-314 du projet de Constitution ne fait que reproduire les
dispositions de l'article 131 du traité de Rome du 25 mars 1957.
Article 110 : "En établissant une union douanière
entre eux, les
Etats membres entendent contribuer conformément à
l'intérêt commun au
développement harmonieux du commerce mondial, à la
suppression
progressive des restrictions aux échanges internationaux et
à la
réduction des barrières douanières."
Il est simplement ajouté,
dans l'article III-314 du
projet, "la suppression progressive des restrictions aux
investissements étrangers directs"
. En réalité, comme je l'ai démontré dans
mon ouvrage de 1999 La
Mondialisation. La destruction des emplois et de la croissance.
L'évidence empirique -éd. Clément Juglar, 1999-,
l'application
inconsidérée, à partir de 1974, de cet article 110
du traité de Rome a
conduit à un chômage massif sans aucun
précédent et à la destruction
progressive de l'industrie et de l'agriculture.
De là il résulte
que l'argument présenté de toutes parts par les partisans
du oui à
droite et à gauche de la protection que donnerait le projet de
Constitution à l'encontre des excès du "libéralisme"
est dénué
de toute justification réelle.Non seulement les partisans du oui
trompent ceux qui les suivent, mais ils se trompent eux-mêmes.
On constate ici à nouveau
la justesse de l'adage
antique : "Celui
qui se trompe se trompe deux fois. Il se trompe parce qu'il se trompe
et il se trompe parce qu'il ne sait pas qu'il se trompe" et la
profonde vérité de l'affirmation de Rabelais : "Ignorance
est mère de tous les maux."
Pour être
justifié, l'article III-314 du projet
de Constitution devrait être remplacé par l'article
suivant : "Pour
préserver le développement harmonieux du commerce
mondial, une
protection communautaire raisonnable doit être assurée
à l'encontre des
importations des pays tiers dont les niveaux des salaires au cours des
changes s'établissent à des niveaux incompatibles avec
une suppression
de toute protection douanière."
Maurice Allais, est Prix Nobel d'économie.